Posted by on 13 mai 2023

Aleteia – Marie Lucas – 11 mai 2023

A priori, le manga n’a rien de très chrétien. Genre littéraire venu de Corée et du Japon, équivalent de notre BD française, il balaye tous les sujets : société, montagne, religion, histoire, nature, poésie, amour, sexe… dans des styles parfois violents. Alors que penser des mangas chrétiens ?

« Le manga n’est pas sous-genre littéraire, mais un genre à part entière, avec ses codes et des illustrations extrêmement travaillées », affirme l’éditrice jeunesse Anne-Sophie Chauvet. Un genre plus ou moins apprécié par les adultes certes, mais très prisé par les enfants et les adolescents. « J’en lis énormément, j’aime particulièrement le dynamisme des dessins, les scénarios très travaillés et le graphisme que je trouve très beau », explique Aymeric, 15 ans. « À cela, ajoutez une narration lente et trépidante à la fois, peu de textes, des gros plans, des visages expressifs et beaucoup d’humour, et vous avez tous les codes des dessins animés », explique de son côté Sophie Cluzel, directrice jeunesse aux éditions Mame. En France, le manga, devenu un véritable phénomène de mode depuis les années 80, attire les jeunes à partir du CM1-CM2 et surtout du collège. Les raisons d’un tel succès ? Lecture intuitive et peu analytique, émotions très fortes, identification facile aux héros, effet de mode. « Ils lisent tous des mangas ! C’est une vague puissante, équivalente à celle de la BD à une certaine époque », conclut Sophie Cluzel. 

C’est pourquoi l’édition chrétienne s’en est saisie. Et parce que l’inculturation fait partie de l’évangélisation, l’offre des mangas chrétiens se développe aujourd’hui rapidement. Tout a commencé avec « Le Messie » et « Métamorphose », sortis au Japon, qui racontent la vie du Christ et les Actes des Apôtres, édités en France par BLF. Puis sont venus « Mutinerie » (Exode), « Magistrats » (Juges), « Messagers » (Prophètes) et récemment « Majesté » (Apocalypse). Ainsi, la Bible se décline aujourd’hui en un coffret manga de 6 livres de 300 pages. Et c’est un succès ! La série, traduite dans au moins 20 langues (khmer, arabe et ukrainien pour 2023) et publiée à plusieurs millions d’exemplaires – dont 340.000 en français – a remporté plusieurs prix. Mais quelle confiance accorder à cet ouvrage ? L’éditeur explique : « C’est une sœur en Christ qui a fait ce manga et qui a à cœur de partager l’évangile. » De plus, les histoires sont très fidèles et sur chaque planche, les références des citations de la Bible apparaissent.  

« Ce coffret est formidable pour faire découvrir la Bible à des enfants un peu réticents, et cette présentation peut même éveiller la curiosité d’adultes non croyants », témoigne un lecteur sur BLF Store. Par là-même, il devient un formidable outil d’évangélisation. « On assiste à la grande invasion de la série manga La Bible partout dans le monde qui revient comme un boomerang dans l’Europe redevenue païenne », explique également Roland Francart, jésuite belge. Ceci est tellement vrai que si vous offrez une Bible classique à un enfant non catéchisé, nul doute qu’elle prendra la poussière, alors qu’à la vue de « Le Messie » en manga, vous verrez des étoiles s’allumer dans ses yeux… « Pour le dernier Halloween, 40 enfants ont sonné chez moi, raconte cette grand-mère. J’ai distribué le manga du “Messie” (NDLR : version abrégée à 1,30 euros et en cours de réapprovisionnement) à ceux qui savaient lire ! » Cette mamie espère surtout que les jeunes répondront à l’invitation faite aux lecteurs, à la fin, d’accepter Jésus dans leur vie. 

BERNADETTE-MANGA.jpg

Sainte Bernadette de Lourdes, éditions Mame.

« Si la demande est forte pour des mangas bibliques, notamment pour des jeunes qui n’aiment pas trop lire ou qui n’ont pas ou peu suivi de catéchèse, les vies de saints rencontrent également leur approbation », explique une libraire du rayon jeunesse de La Procure. Sainte Bernadette, Sainte Claire et Don Bosco aux éditions Mame, Saint Paul et Judith aux éditions de l’Emmanuel, Jeanne d’Arc aux éditions Salvator, Van aux éditions Les amis de Van… « On est dans l’émotion, dans quelque chose d’intime – pas seulement dans l’action – avec beaucoup de flash back et de suspense, Et cela plaît ! J’avoue personnellement avoir eu un coup de cœur pour sainte Claire d’Assise dont le scénario est captivant ! », poursuit-elle. Enfin, une mention spéciale pour le titre hors-catégorie « Le voyage du pèlerin » (BLF Europe), grand classique de la littérature, qui vient enfin de paraître dans ce genre littéraire.

Une offre de mangas chrétiens qui s’étoffe

Même si les lecteurs habitués de ce genre ne sont pas tous convaincus par cette déclinaison du manga dans l’univers chrétien – « le dessin et le scénario sont décevants » d’après Aymeric – l’on assiste à un développement rapide de l’offre manga chrétienne. Celle-ci reste cependant rare en quantité, et pour cause. « Nous voulons proposer des ouvrages de qualité, conformes à la foi catholique et à nos exigences littéraires et graphiques, dans les codes de ce qui plait aux enfants d’aujourd’hui », affirme Sophie Cluzel. Ce qui demande un gros travail. Il s’agit de repérer les mangas au Japon ou en Corée – où il y a une communauté chrétienne vivante –, s’assurer de leur contenu, puis les acheter et les traduire. Le succès est alors au rendez-vous, comme par exemple « Don Bosco » réalisé par un mangaka  japonais, en lien avec les religieux salésiens sur place. Ou « Van, le combat de l’amour », sélectionné, lors de sa parution, au Festival de la BD chrétienne d’Angoulême. Ou encore « Saint Paul, soldat de la vérité » (en trois tomes) réalisé à Singapour et vendu depuis sa parution à 12.000 exemplaires. « D’autres projets sont en cours, explique encore la directrice jeunesse, avec des mangakas et des biblistes. » Car les éditeurs le savent bien : proposer du « faux manga » ne marche pas !

LOURDES-MANGA.jpg

Sainte Bernadette de Lourdes, éditions Mame.

Pourtant, certains ouvrages seulement de « style manga » ont vu le jour récemment. La Bible des éditions Mame en fait partie. « Avec ses 4.000 exemplaires vendus par an, le lectorat le plébiscite, explique Sophie Cluzel. Nous avons là une vraie Bible, avec un texte très proche de l’Écriture et illustré par l’ancêtre des dessins animés japonais. »  Plus récemment, la série Miko (Mame) a vu le jour. « C’est une proposition originale qui mêle différents genres littéraires : roman, documentaire et planches de manga  pour proposer la foi de manière nouvelle. » Là encore, le succès est au rendez-vous. « Miko et les 7 secrets de la Bible » (tome 1) évoque le parcours d’un jeune garçon qui découvre la foi à la suite de la mort de son grand-père adoré. Le deuxième tome, « Miko et les 7 clefs du Royaume », vient de sortir et raconte le parcours semé d’embûches du jeune  garçon vers le baptême. Quant au « Pape François, Miséricorde« , il a été réalisé par un artiste de Singapour et il permet de rendre audible aux plus jeunes les principaux messages du Saint Père. 

Reste que les mangas dérangent certains parents et éducateurs.

Reste que les mangas dérangent certains parents et éducateurs : pauvreté des textes, aspect émotionnel exacerbé, inquiétude sur le contenu, absence d’effort dans la lecture… Sophie Cluzel se veut rassurante : « Certes, le texte est réduit, mais le genre BD n’en a pas tellement plus ! Et oui, c’est facile à lire et les émotions sont exagérées, mais j’ai la conviction qu’il vaut mieux lire du manga que ne pas lire du tout. » De son côté, Anne-Sophie Chauvet souligne :  « Du côté des parents, je m’aperçois qu’il y a une vraie méconnaissance de l’univers manga. Pour les chrétiens coréens et japonais, offrir un manga, c’est comme si on leur offrait une vie de saint en BD  chez nous ! C’est une littérature de réelle qualité. » Elle leur conseille d’ailleurs d’en lire eux-mêmes pour savoir de quoi il s’agit et pouvoir en parler avec leurs enfants. « Un manga chrétien est une bonne porte d’entrée pour intéresser l’enfant à un thème qui lui semble rébarbatif. Si votre enfant découvre saint Paul grâce au manga, c’est plutôt une bonne nouvelle, et en plus il aura des choses à raconter au dîner ! », conclut-elle.

Parents et éducateurs, ayez donc confiance ! Cette lecture permet aux enfants une première découverte du mystère chrétien, un peu comme une première graine plantée dans leur cœur. « Grâce aux mangas, je connais toutes les histoires de la Bible par cœur, notamment celles de l’Ancien Testament », lance avec fierté Anna, grande fan du genre. Pas de quoi s’inquiéter donc !